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Publié le 8 Octobre 2010

As-tu déjà fait une erreur aujourd’hui ?

  

La confiance en soi et le sentiment d’appartenance à un groupe sont essentiels pour bien apprendre et réussir dans la société moderne.

De Reinhard Kahl

« On va vous distribuer une feuille format A4. » Manfred Spitzer, psychiatre et spécialiste du cerveau, prend soudain un ton très docte. Son public de la salle municipale de Schwäbisch Gmünd, en Allemagne, est tout à coup mal à l’aise. Plus d’un millier de personnes sont venues. « Vous avez un quart d’heure pour noter ce dont vous vous souvenez de vos cours de maths du lycée. » Manfred Spitzer est un des grands pontes de la recherche moderne sur les méthodes d’apprentissage. Certes, il sollicite son auditoire, mais personne ne s’attendait à se voir testé sur ses connaissances en maths.


« Le cerveau garde les traces de ce qu’il a appris. »

Très vite, le Professeur se met à sourire. La salle réagit en riant de soulagement. C’est vrai, il ne faut pas un quart d’heure pour rassembler ses souvenirs de calculs vectoriels et de probabilités. Pas besoin non plus d’une feuille format A4 : une boîte d’allumettes ferait largement l’affaire. Mais quand un grand professeur fait une démonstration, personne ne serait prêt à l’admettre. Avons-nous tous perdu notre soif de connaissances, à force de dissimuler nos lacunes quand nous étions encore des élèves ? La leçon retenue sur les bancs de l’école est qu’il vaut mieux avoir l’air intelligent que de poser des questions stupides. Or, c’est précisément l’ignorance qui donne envie d’apprendre. Beaucoup d’établissements scolaires jouent encore au jeu d’un monde qui serait figé et aurait réponse à tout. Les enfants, pour leur part, vont aussi volontiers à l’école que chez le dentiste. Après des années de cours, ils sont soulagés de tout laisser derrière eux et oublient ce que c’est d’apprendre. Enfin, ce n’est pas tout à fait le cas. « Le cerveau ne sait rien faire d’autre qu’apprendre, » déclare Manfred Spitzer avant d’ajouter : « Chaque cerveau garde les traces de ce qu’il a appris. »

Tout dépend de l’ambiance...

Alors comment apprend-on à utiliser son cerveau à l’école ? La différence fondamentale réside dans le fait qu’on apprendra par la suite grâce ou malgré son passage à l’école. Apprend-on contre son gré ou avec plaisir ? Tout dépend de l’ambiance. La recherche sur le cerveau nous montre que tout va beaucoup mieux quand on prend du plaisir à faire quelque chose. Elle fait la différence entre le savoir « inerte » et le savoir « intelligent ». Le savoir « inerte » reste en général un corps étranger qui sera rejeté, ce qui n’est pas sans rappeler la boulimie, avec son cycle du gavage et du vomissement. Le savoir intelligent, lui, ne fait qu’ouvrir encore plus l’appétit. Lors du transfert de savoir inerte, les élèves restent l’objet de l’enseignement, tandis que la construction d’un savoir intelligent suppose que les élèves sont à la fois sujets et, avec leurs enseignants, « co-constructeurs » d’un savoir qui prend une forme légèrement différente pour chacun. L’enfant, l’adolescent puis l’adulte apprennent alors à anticiper le plaisir résidant dans tout savoir nouveau. Sous l’ancien système scolaire, l’altérité était un handicap, les enseignants tentant de dispenser le même enseignement à tous. Le nouveau concept d’enseignement découvre les avantages de la diversité. Néanmoins, la diversité accroît le nombre de questions et de réponses possibles, aussi bien en salle de classe que dans l’ensemble de la société.

A l’ère de la mondialisation, les entreprises n’ont pas d’autre choix que de devenir des structures d’apprentissage.

Les méthodes d’apprentissage sont devenues un des thèmes majeurs de notre société. En effet, dans le monde du travail, les travaux routiniers sont de plus en plus souvent effectués par des machines. A l’ère de la mondialisation, les entreprises n’ont pas d’autre choix que de devenir des structures d’apprentissage. La société industrielle classique dans laquelle l’éducation était un atout évolue vers une société des idées et du savoir. L’autonomie est aussi importante que la coopération quand il s’agit de résoudre les problèmes et d’innover. Le savoir est le capital le plus précieux. L’apprentissage devient une force productrice décisive.

Un pays comme la Finlande, dont le système scolaire est de premier ordre, est passé avec succès d’une société agricole traditionnelle à une société de la connaissance et de l’innovation. Le terme « société de la communication » est même inscrit dans la constitution comme un objectif à atteindre : la barre est placée à 70 % d’étudiants par tranche d’âge. De fait, 72 % des jeunes entrent à l’université ! Le secret des Finlandais, qui caracolent en tête de l’enquête PISA, est de ne jamais laisser un enfant avoir honte. Chacun a sa place. Personne n’est exclu. Il est prouvé que la confiance en soi et le sentiment d’appartenance à un groupe sont à la fois l’essence même de l’apprentissage et un facteur de réussite dans la société moderne. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que 500 directeurs d’écoles chinois soient actuellement en Finlande pour étudier comment on met en place un bon système scolaire.

Celui qui n’a pas fait d’erreurs n’a aussi jamais rien risqué.

L’éducation est elle aussi entrée dans l’ère de la mondialisation. Les cultures s’enrichissent mutuellement. Les Européens qui se rendent dans des écoles vietnamiennes ou japonaises sont impressionnés par la place accordée à l’apprentissage. Au Vietnam, la famille range la seule table de la maison pour que les enfants puissent faire leurs devoirs. En Asie orientale, on ne part pas du principe que les élèves qui n’ont pas certaines dispositions n’arriveront jamais à rien. Le Japon essaie d’assouplir ses traditions rigides et décrit la créativité comme étant le « sel de l’apprentissage ». De plus, la tradition japonaise enseigne qu’on a le droit mais aussi le devoir de commettre des erreurs durant l’apprentissage.

Le rapport que l’on a à l’erreur est très révélateur. Les erreurs sont-elles un péché qui devrait être condamné par une sorte d’inquisition pédagogique, ou faut-il y voire un ami, comme c’est le cas dans le système scolaire canadien ? Les écoles pourraient d’ailleurs prendre en exemple certaines entreprises dont les dirigeants s’interrogent : « as-tu déjà fait une erreur aujourd’hui ? », lors des séances de méditation à la pause déjeuner. L’erreur n’est plus une déviance qui doit être réprimée, mais devient au contraire la marque de ceux qui n’ont pas peur de repousser les limites. Quiconque ose se lancer dans l’inconnu commet forcément des erreurs. A l’opposé, celui qui n’a pas fait d’erreurs n’a aussi jamais rien risqué. Bien entendu, il ne s’agit pas de bêtement répéter sans cesse les mêmes erreurs ; au contraire, il s’agit d’oser intelligemment en commettre de nouvelles. « Je me nourris de mes erreurs, » disait l’artiste allemand Joseph Beuys, « de quoi d’autre pourrais-je me nourrir ? »

 

Rédigé par Marie Jose A

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